On l’apprend en primaire, la Thièle naît de la confluence entre le Talent et l’Orbe. On pourra désormais assurer que la Thièle, c’est l’Orbe après la case prison… Agriculteurs, protecteurs de la faune ou randonneurs, la clôture projetée aux Grands-Marais inquiète tout le monde.
La prison des Grands-Marais: voilà le nouveau nom des établissements de la plaine de l’Orbe (EPO), comme pour ne plus associer le nom de la ville au milieu carcéral. Le projet pharaonique – 279 millions pour 410 places supplémentaires –, initialement prévu pour 2026, rencontre des oppositions des communes de Chavornay et de Valeyres-sous-Rances, ce qui pourrait le repousser à 2030. Ce ne sont pas les bâtiments qui posent problème, mais l’imposante barrière qui doit entourer le site sur près de 9 kilomètres. C’est maintenant au Canton de trancher; mais si les arguments des opposants ne devaient pas être entendus, l’affaire pourrait bien aller jusqu’au Tribunal fédéral.
Faune bloquée
Le canton de Vaud incite les agriculteurs à la création de réseaux écologiques; l’objectif est de maintenir et de promouvoir la diversité naturelle des espèces sur les surfaces agricoles, notamment en favorisant leurs déplacements, en prenant en compte leurs besoins. Cela va de la réglementation de l’époque de la fauche à l’entretien de petites structures telles que des tas de pierres, des bosquets, des lisières de forêt. Or, la clôture de 8,7 km prévue autour de la prison des Grands-Marais rendrait le site de 400 hectares hermétique à tout passage. Pour les agriculteurs, cela va à l’opposé du «vivre ensemble» qu’on les encourage à entretenir avec la faune sauvage.
Le point le plus sensible du tracé est celui mentionné en rose sur le plan. Des animaux pourraient s’y trouver bloqués, sur le chemin de la rivière, et saccager les cultures. Durant la conciliation entre les chefs de projet et les opposants, un nouveau tracé a été proposé (en pointillés verts sur le plan), mais il n’est pas encore validé. A l’Etat de Vaud, faune et détenus sont gérés par un même département (!), celui de la jeunesse, de l’environnement et de la sécurité (DJES), qui assure que ses services collaborent étroitement sur ce dossier pour tenter de trouver une solution optimale pour tout le monde.
Agriculture compliquée
Une chose est certaine: les habitants de la région n’auront plus accès à cette balade le long de la rivière, balade que les randonneurs pouvaient emprunter jusqu’à Yverdon. Mais ce n’est pas le seul grief fait au projet. Le passage des agriculteurs au travers du site, sur les chemins bétonnés utilisés actuellement, se verra compliqué par le franchissement de portes de sécurité. Il leur faudra descendre de leur véhicule pour ouvrir les portes (figurées par des points rouges sur la carte), car il est exclu d’automatiser la reconnaissance des plaques d’immatriculation. Mais contourner le site reviendrait à emprunter la route cantonale, dont le trafic est déjà dense.
Parmi les reproches figure également la perte de surface, due à l’emprise de la clôture projetée, alors qu’il s’agit là d’une des meilleures terres agricoles du canton.
Surveillance facilitée
Aujourd’hui, agriculteurs et détenus se croisent sur les chemins bétonnés de la plaine de l’Orbe et se saluent respectueusement – même si on peine à penser qu’une fois libres, les ex-prisonniers continueront dans cette voie. Les détenus en réinsertion professionnelle conduisent des machines agricoles, lesquelles sont géolocalisées et surveillées en permanence. Si l’absence de clôture semble être une faiblesse dans la sécurité, c’est aussi une première marque de confiance envers le détenu en phase de réinsertion.
Si l’on comprend que l’extension des prisons en zones urbaines est limitée, les opposants se demandent si c’est à la campagne d’en supporter toute la surcharge, et surtout à quel prix.