Il n’est nullement nécessaire d’appartenir aux passionnés de l’automobile pour entrer dans cette saga historique dont les tableaux sont peints avec sensibilité – tout en laissant à chaque lecteur la capacité de s’approprier le personnage – par l’écrivain romand bien connu, Michel Layaz; ce dernier est également l’auteur d’un Louis Soutter, probablement, retraçant la vie du génial peintre hébergé à l’Asile de Ballaigues et dont L’Omnibus a traité il y a quelques années.
Histoire automobile
La marque Chevrolet, qui appartient au groupe General Motors, fait partie des plus grands producteurs mondiaux, même si des décisions de pure stratégie commerciale l’ont fait disparaître des garages européens dès 2015, à l’exception notable de la mythique Corvette. A Orbe, un garage de la place arbore encore le logo Chevrolet en forme de noeud papillon.
A l’image de beaucoup d’autres firmes automobiles comme Peugeot, Citroën, Opel ou Ford, Chevrolet a été incarnée au travers d’une personne. Parmi les millions de conducteurs de Chevrolet aux Amériques et ailleurs, peu se doutent qu’il s’agit de regarder du côté de Bonfol, en terres ajoulotes, et que notre héros a droit à un buste non seulement à Indianapolis, mais aussi à La Chaux-de-Fonds, où il naquit en 1878.
Plusieurs vies
Michel Layaz opte pour «vies» au pluriel et non sans raison. Le récit habilement ficelé s’écarte de la chronologie pour d’abord nous camper en 1905 un Louis Chevrolet de 27 ans, qui gagne sa première course automobile à New York sur une Fiat, s’assurant progressivement une solide réputation de casse-cou et donnant des sueurs froides à ses mécaniciens, qui à cette époque étaient présents dans la voiture… et dont quatre moururent.
Il faudra patienter jusqu’au cinquième chapitre pour en savoir un peu plus sur l’enfance et la jeunesse de Chevrolet. C’est alors qu’il a neuf ans, en 1897, que la famille prend la décision d’émigrer en Bourgogne, à Beaune, où le père exercera son métier d’horloger. Louis quittera l’école à 12 ans déjà pour s’initier à la mécanique des vélos, et parallèlement participer à des courses cyclistes. Il montera à Paris à la fin du siècle pour exercer ses talents de mécanicien automobiles chez Darracq. Le dépaysement se révèle insuffisant: ce sera l’Amérique, d’abord le Québec, puis New York. Il y sera rejoint par plusieurs de ses frères et soeurs.
La logique chronologique reprend ensuite avec du travail auprès de la succursale américaine de De Dion-Bouton, puis chez Buick.
Ne jamais renoncer
En 1911 apparaît la nouvelle marque automobile Chevrolet. Mais Louis, associé à un financier, va s’avérer meilleur coureur et technicien qu’homme d’affaires. Alors que la production débute, des brouilles ne tardent pas, qui conduisent notre Jurassien à donner à Billy Durant, pour une poignée de dollars, « le droit d’utiliser en exclusivité le nom de Chevrolet (…) La suite sera cruelle. Le succès de la marque Chevrolet ne va pas tarder », raconte Layaz à ce propos.
Ne jamais abandonner, tel est le mantra de Chevrolet. Il reprendra la compétition automobile et fondera avec ses deux frères une nouvelle marque de voitures de compétition aux paramètres techniques d’avant-garde : les Frontenac. Clin d’œil sans doute à son arrivée à Québec. 1920 marquera l’apogée de la marque, puisque son frère Gaston gagnera les 500 miles d’Indianapolis. Ce dernier se tuera malheureusement quelques mois plus tard dans une course en Californie.
Dans les années qui suivirent, toujours actif dans la construction automobile, Louis touchera aussi à la réalisation de moteurs d’avions. La crise de 1929 cassera cet esprit d’entreprise et le Jurassien se verra même obligé d’accepter un poste d’ingénieur salarié chez… Chevrolet! L’après-midi du 6 juin 1941, sa santé ayant décliné après plusieurs attaques cérébrales, il prononce ses dernières paroles à sa femme Suzanne, comme le relate Layaz: «J’ai peut -être manqué de chance.»