Nous avons rencontré Gaël Lavorel, jeune horticulteur de L’Abergement, qui s’est récemment lancé dans une opération de sauvetage peu commune. Interview.
Gaël Lavorel a 24 ans et gère depuis quatre ans sa petite pépinière d’arbres fruitiers à L’ Abergement. Ce printemps, la famille Delessert, de Baulmes, l’a contacté afin qu’il sauve un érable du Japon. Relativement rare dans nos régions, l’arbre devait être détruit en mai lors de travaux d’aménagement à la laiterie-fromagerie du village, dont les Delessert étaient jusqu’à il y a peu gérants.
«Les propriétaires voulaient le tronçonner. C’était exclu!» nous raconte Marie-Noëlle Delessert, rappelant la valeur sentimentale de l’arbre, planté en 2003 pour le baptême de sa fille Noémie. Voisins et amis se sont donc mobilisés afin d’aider Gaël à extraire l’érable de quatre tonnes pour le transplanter à L’ Abergement. «C’était émouvant, c’étaient des copains d’école de ma fille qui sont venus, c’était joli de les voir travailler tous ensemble», se réjouit Marie-Noëlle, qui souligne tout de même: «Ils ont eu de la peine à sortir l’arbre, il s’était bien attaché à Baulmes». Fort du soutien et de la réaction positive des gens face à ce sauvetage, qui rappelle que tout n’est pas que destruction, Gaël nous raconte sa fascination pour les arbres et la nature.
L’Omnibus: Comment votre parcours est-il lié aux arbres ?
Gaël Lavorel: J’ai toujours aimé la nature et le monde sauvage, ce sont nos parents qui nous ont transmis cette passion, à mon frère Antoine et à moi. Enfant, j’ai commencé à faire de la peinture, de la sculpture, et du dessin – c’étaient beaucoup les arbres, j’étais très inspiré par eux. Je devais avoir dix ans quand je me suis mis à planter des haies chez un voisin, qui se réjouissait d’avoir des arbustes. J’étais tout content de pouvoir planter des arbres pour les oiseaux et la faune. En trois-quatre ans, j’ai planté presque un kilomètre de haie indigène, d’essences mélangées. Chaque fois que je rentrais de l’école, j’allais m’occuper de mes deux cents arbres. Ça commençait à devenir magnifique, mais le propriétaire est parti et le paysan qui a repris a tout rasé. J’ai tiré la gueule un moment…
Mais j’étais quand même mordu. Je me suis inscrit à l’école d’horticulture de Lullier, où on nous a appris le maraîchage, l’arboriculture, la floriculture, le paysagisme. Ce qui m’a le plus passionné, c’étaient les arbres, la pépinière, les techniques de greffage. Quand j’ai terminé l’école, je voulais voyager, mais on était en plein covid, alors je me suis plutôt mis à planter des arbres, ici à L’ Abergement. Au début c’était plus une expérimentation. Mais comme la pépinière a très bien marché, je me suis pris au jeu et j’ai eu envie de développer plus. J’espère que certains de mes arbres bénéficieront à des jeunes dans 150 ans, sans qu’ils sachent qui les aura plantés. Ils vont se demander pourquoi ils donnent à la fois des amandes, des prunes et des abricots (rires).
Quelle est l’histoire de l’érable du Japon qui se trouve dans votre pépinière ?
Cet érable se trouvait à Baulmes, devant la laiterie-fromagerie du village. La société de laiterie à qui appartient le bâtiment ayant décidé d’agrandir ce dernier, l’arbre allait malheureusement être enlevé. La famille Delessert, alors gérante, m’a contacté l’hiver dernier pour me demander de venir prendre des greffons de l’érable, en espérant pouvoir en emporter un petit avec eux puisqu’ils avaient décidé de quitter Baulmes. J’ai essayé de faire des greffes, ça n’a pas marché. Mais en voyant l’arbre j’avais déjà décidé que j’allais tenter de le récupérer, parce qu’il est magnifique et que ça me semblait scandaleux d’en faire du bois de feu. Un érable du Japon comme ça, c’est assez rare dans la région, c’est un peu un arbre remarquable – d’ailleurs à Baulmes, tout le monde le connaissait. En automne il devient rouge vif, c’est superbe. Je me suis dit qu’il serait très bien pour décorer ici, à la pépinière.
À Baulmes, les gens étaient plutôt surpris et contents de voir qu’on essayait de sauver l’érable, et qu’il allait pouvoir continuer sa vie ailleurs. Ça affectait tout le monde de savoir qu’il allait être détruit.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant ce sauvetage ?
Pour déplacer un arbre dans de bonnes conditions, il faut le faire en hiver, quand il n’a pas de feuilles. Sauf que là, on devait attendre le mois de mai et le début des travaux de démolition pour pouvoir sortir l’érable – il était cerné par des murs que le mécanicien devait abattre pour qu’on puisse y accéder. C’était donc le pire moment: l’érable était en train de faire ses feuilles, il était hyper fragile.
L’autre problème c’étaient les racines, dont certaines étaient vraiment grosses. Les grandes pépinières pratiquent ce genre de transplantation avec des arbres en culture, parfois énormes, mais ils sont généralement préparés pour ça : ils ont été cerclés, pour que leur système racinaire reste compact. Quand on les arrache, ils souffrent donc beaucoup moins de la transplantation. Nous, on a dû faire une motte de 1 mètre sur 2, proportionnelle à la partie visible de l’arbre, pour conserver un maximum de racines. Et on ne pouvait pas trop couper dedans. On a d’abord fait une motte de 6 tonnes, que le mécanicien des travaux, qui a eu la gentillesse de nous aider, n’arrivait pas à lever… On a dû secouer la terre, la faire tomber à la pioche, jusqu’à ce qu’elle pèse 4 tonnes et qu’on puisse la sortir. Ça a pris une journée.

Qu’en est-il de la transplantation elle-même ?
J’ai trouvé quelqu’un à la dernière minute pour transporter l’érable jusqu’à L’ Abergement, un pote paysan qui nous a aidés à faire le trajet avec son tracteur et sa remorque. Sur les petites routes, malheureusement, les branches des autres arbres se sont accrochées à l’érable, ce qui lui a cassé plein de branches ; il est arrivé un peu dénudé. Il est resté une semaine en attente à la pépinière, le temps de creuser le trou. Je l’ai taillé – on avait de toute façon cassé deux tiers des branches. On a ainsi enlevé proportionnellement autant de branches que de racines.
En termes de soins, on l’arrose pas mal, et on a planté des fleurs autour pour garder un peu l’humidité. J’ai mis de la cire d’abeille sur toutes les plaies, pour éviter que ça sèche ou que les champignons s’y installent. Il a refait de nouvelles feuilles peu après – on peut dire qu’il a bien repris, et on se réjouit de voir ses couleurs d’automne!
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