Alors que l’exposition du Musée historique de Lausanne 150 ans d’immigration italienne à Lausanne fermait ses portes le mois dernier, le sujet continue d’intéresser les chercheurs, les étudiants et la population vaudoise en général.
Preuve en est le travail de maturité d’une gymnasienne du Nord vaudois, Sofia Misita, d’Yverdon-les-Bains. Intitulée Entre crainte et espoir et supervisée par Malika Trachsel, cette étude porte sur les migrations des Italiennes et Italiens après la Seconde Guerre mondiale en distinguant trois périodes de référence, 1960, 1980 et 2010.
Quelques facettes du travail
Contexte général: Sofia rappelle que le statut de saisonnier est mis en place dès 1931, dans toute sa précarité: octroi d’un permis A qui limitait à 9 mois/année le séjour, pas d’assurances sociales, pas de regroupement familial, logement dans des baraquements…
«Les enfants du placard», telle était l’appellation donnée, dans les années soixante, aux enfants italiens illégalement emmenés en Suisse avec leurs parents. Il y en aurait eu selon certaines estimations jusqu’à 5 000 à 6 000.
Manifestation à Genève le 22 mars 1961: la gymnasienne rappelle cette manifestation des saisonniers relative à leurs conditions de logement: «Nous ouvriers italiens, exigeons: un lit, une table, une chaise – est-ce trop demander?»
Mattmark: le chantier du barrage de Mattmark (Valais, vallée de Saas) s’effondre le 13 août 1965: Il s’ensuit la mort de 88 ouvriers, dont 56 Italiens
La visite médicale: souvent mentionnée dans les étapes incontournables de la venue en Suisse, la visite à Brigue de dépistage de la tuberculose était vécue comme une étape humiliante (voir témoignage).
Schwarzenbach: Sofia rappelle le contexte des initiatives xénophobes du début des années 1970, dont celle de James Schwarzenbach, alors conseiller national zurichois.
Migration et conjoncture économique: le travail de maturité montre bien les liens, au travers par exemple de la crise du pétrole de 1973 qui conduit à une récession économique et à du chômage, qui viseront en priorité les travailleurs étrangers.
2002: la fin du statut de saisonnier: Sofia rappelle que l’accord sur la libre circulation des personnes signé en 2002 par la Suisse et l’Union européenne va mettre fin au statut de saisonnier.
Plus loin dans son travail, la gymnasienne aborde la cohabitation entre Italiens et Suisses, non sans rappeler les qualificatifs dont certains de ces derniers gratifièrent ceux-là: «Ritals, Pioums, Maguttes, Macaronis…» Au fil de son analyse, la gymnasienne constate que la culture italienne ne surprend plus personne, «qu’elle fait partie du paysage suisse (…), les Italiens auront aidé la Suisse à se construire et cette immigration aura amené du savoir-faire manuel, un style vestimentaire et le partage de nombreuses découvertes culinaires italiennes».
Dans une dernière partie, dénommée partie analytique, la jeune étudiante présente les personnes interrogées (6) et les questions (24) posées lors de l’interview dans la grille d’entretien, qui vont de la présentation, aux raisons du départ, à l’expérience de la discrimination en passant par la perception de l’intégration.
Sofia, dans une brève 5e partie conclusive constate que ces «migrations ont fait de la Suisse ce qu’elle est aujourd’hui. Elles lui ont permis de se construire et de s’agrandir. On comprend que le siècle des Italiens ne se résume pas à des amertumes et des tensions, comme nous pourrions le penser, (que) cela va beaucoup plus loin».
Quelques éléments de l’entretien
avec Emilia, arrivée en Suisse
le 3 octobre 1957:
C’était quoi vos objectifs de départ?
Venir travailler, j’avais un contrat pour venir travailler. Dans ces temps-là, on venait pas en Suisse sans contrat.
C’est quoi les obstacles que vous avez rencontrés?
Tout de suite à Brigue, ils vous font descendre et faire la visite. C’était pire que, (pause), c’était pas joli. Il y avait pas de séparation homme et femme (…) Il fallait faire la radio et pis la piqûre et pis faut prendre le train (…) Je suis arrivée le 3, et à 4 h. 30 je suis arrivée à Neuchâtel (…) Et le jour après j’avais déjà commencé à travailler…
Vous êtes retournée en Italie pour des vacances?
Oui, en ces temps-là, il fallait travailler une année pour avoir une semaine de vacances. (…)
Avez-vous été sujette à de la discrimination ou des moqueries?
Même dans les magasins (…) A la Migros ça je me rappellerai toujours. On était allés faire des commissions. «ça y est, il y a les Cingalaises.»
Et pour l’avenir, vous comptez rester en Suisse?
Oui, parce qu’en Italie j’ai plus personne. Vous arrivez à partir quand les enfants sont jeunes, après vous partez plus. Il y en a aussi qui sont partis et revenus en arrière. (…)
Bref échange avec l’auteure du travail
Je m’appelle Sofia Misita et je suis étudiante en 3e année de maturité au gymnase d’Yverdon-les-Bains. J’ai 18 ans et je m’intéresse à l’histoire et la littérature. Par la suite, je souhaiterais entrer à la HEP et devenir enseignante.
1) Pourquoi avoir choisi ce sujet de travail de maturité?
Cette immigration italienne qui a eu lieu récemment a provoqué de l’intérêt chez moi. Plusieurs personnes de ma famille sont immigrées et en parler me tenait à cœur. De plus on parle assez peu de cette «première» grande immigration.
2) Qu’as-tu appris au fil de tes recherches?
Il reste de nombreuses différences entre les années de migration. Tous n’ont pas eu les mêmes opportunités à travers leur migration. Les premières vagues ont été très difficiles et une certaine évolution a vu le jour par la suite.
3) Qu’est-ce qui motive, selon toi, les réactions de discrimination et de xénophobie?
Dans les années 1960, la population suisse n’était pas préparée à une telle migration. Elle fut l’une des premières et une certaine peur s’est alors installée. Les Suisses craignaient l’inconnu, une méfiance et une jalousie se sont instaurées. La discrimination semblait alors la solution pour justifier leur crainte.
4) Quel regard portes-tu sur la Suisse ?Je pense que la Suisse était et est un très beau pays d’accueil. Elle a réussi à se construire notamment grâce à la forte main-d’œuvre ouvrière et aujourd’hui elle reste l’un des pays les plus ouverts. Elle a donné aux immigrés une opportunité de construire un avenir. La Suisse reste mon pays d’origine et j’en suis fière.