Energie – La société Arnon Énergie SA annonce pour début février la mise en route du turbinage en continu des eaux de l’Arnon. Le chantier a connu des aléas, principalement dus aux intempéries, et des réglages sont encore à prévoir. L’installation au fil de l’eau devrait alimenter 570 ménages.
L’eau de l’Arnon, captée à 741 mètres d’altitude dans les gorges de Covatannaz, produit ses premiers KWh à Vuitebœuf. En phase de tests, la turbine et son alternateur devraient être opérationnels en continu dès début février, selon Lawrence Armstrong, responsable des projets Énergies renouvelables à la Romande Énergie. Pour l’installation de la prise d’eau et de son dégrilleur, le cours de la rivière a été dévié dans un chenal dès l’automne 2020 et quelques aléas ont jalonné le chantier.
L’aventure touche au but. «La petite centrale hydraulique de Vuitebœuf, actuellement en phase de tests, produira de l’électricité en continu dès début février», annonçait lundi Lawrence Armstrong, responsable des projets Énergies renouvelables chez Romande Énergie, à Morges. En décembre dernier, le faible débit d’eau de l’Arnon n’avait pas permis de tester la turbine à plein régime. Et lundi, lors d’une visite de la centrale, les électriciens étaient encore à l’œuvre. Ces prochaines semaines, une machine de chantier devra ré-intervenir sur le site de la prise d’eau, afin de «réadapter très ponctuellement le lit de la rivière», informe Lawrence Armstrong. La demande d’offre complémentaire faite à l’entreprise de construction Grisoni-Zaugg porte sur une solidarisation, par du béton, des enrochements du lit du ruisseau, en aval de la prise d’eau.
Conduits par Arnon Énergie SA, une société mixte composée de représentants de Romande Énergie, de la société Estia et de particuliers, les travaux, effectués par le consortium Grisoni-Zaugg et Staremberg, ont débuté en octobre 2020. «L’accès au chantier est compliqué, dans un terrain présentant une forte déclivité (28 à 86 degrés) avec, par endroits, des zones rocheuses et des parois en surplomb qu’il a fallu sécuriser», décrit le Groupe Grisoni à propos du chantier, sur son site internet.
Trois étapes
Lawrence Armstrong précise qu’en premier lieu, le cours de la rivière a été dérivé pour travailler au sec à la réalisation de la prise d’eau et de son dessableur, entre octobre 2020 et avril 2021. Installés à l’endroit où les résurgences de la grotte du Vertige viennent se jeter dans l’Arnon, les ouvrages mesurent 5 mètres de large, 12 mètres de long et 4,6 mètres de hauteur. «La prise d’eau est conçue pour laisser à la rivière les eaux propres qui viennent de la résurgence», souligne le chef de projet. De son côté, le groupe Grisoni cite des chiffres: 250 m3 de béton, 1850 m3 de terrassement et une dizaine de personnes en moyenne sur le chantier durant un an.
La centrale de l’Arnon en phase de tests
Deux pelles-araignées et une pelle chenille de 20 tonnes ont été utilisées pour les travaux.
La deuxième étape a visé la creuse et l’installation de la conduite forcée de 1312 mètres, enfouie en grande partie sous le chemin forestier et réalisée avec des tuyaux en fonte enrobés de béton, pesant 1250 kg pièce. Elle s’est déroulée de janvier à août 2021. La fouille a permis des travaux en synergie, soit le passage de la fibre optique et le remplacement de la conduite d’eau potable qui alimente Vuitebœuf. D’anciennes canalisations d’eau et de gaz ont été démantelées.
En parallèle, le bâtiment de la centrale a été construit à Vuitebœuf, en béton avec revêtement extérieur bois sur une isolation, et doté d’une toiture métallique avec un large ouvrant. Dès fin août, l’espace est aménagé : turbine, alternateur, vannes, armoires de commande sont mis en place. Les tests démarrent en novembre et se poursuivent actuellement. La production espérée est de 2 GWh annuels, soit de quoi alimenter environ 570 ménages. De l’aveu de Lawrence Armstrong, il faudra plusieurs cycles annuels pour «savoir si ces prévisions étaient justes». De son côté, Caroline Monod, attachée de presse de Romande Énergie, souligne qu’en raison de la nature karstique du sous-sol, 60% de la production électrique annuelle sera réalisée d’octobre à mars.
Nombreux aléas
«Nous avons connu beaucoup d’aléas», concède Lawrence Armstrong. En octobre 2020 déjà, une montée des eaux avait débordé le système de dérivation. Lors des orages des 21 et 22 juin 2021, une grosse crue a submergé la déviation de la rivière et déferlé sur la prise d’eau. «Il n’y a pas eu de dégâts sur les ouvrages, mais les matériaux que nous avions commencé à disposer autour de la prise d’eau ont été emportés».
En outre, le cône d’éboulis situé en dessous du Fontanet, site archéologique reconnu, a commencé à s’effondrer. Sa base avait déjà été entamée par la creuse du chenal de déviation de l’Arnon. «Nous avons posé un géotextile pour le stabiliser», précisait lundi Lawrence Armstrong.
L’ensemble des travaux avait été devisé à 4,5 millions de francs au moment du permis de construire. Selon le chef de projet, «il est trop tôt pour connaître le coût final». Il y a eu des travaux complémentaires. Et toutes les factures des travaux de génie civil ne sont pas encore rentrées. En outre, il y a «discussion avec les assurances pour la prise en charge des coûts liés aux phénomènes naturels», précise en substance le chef de projet.
Protection de la nature
La construction d’une centrale hydraulique pose toujours la question de la protection de l’environnement, notamment en raison de la réduction du débit naturel du cours d’eau. Plusieurs associations de défense de l’environnement et de la faune piscicole s’étaient d’ailleurs opposées au projet qui va réduire de 30 % le potentiel de frayères. Des observations ont été menées en amont par un biologiste, elles continueront pendant trois ans, assure le chef de projet. Lawrence Armstrong souligne en outre qu’une «piscine» d’un mètre de profondeur a été aménagée sous la prise d’eau, pour donner «un point de chute» aux poissons.
Les gorges recèlent de nombreuses curiosités naturelles, falaises, cascades, grottes, blocs erratiques et concrétions de tuf de l’époque glaciaire. La faune et la flore sont abondantes, le lieu présente à certains endroits un haut taux vibratoire, et tout cela en fait un lieu de ressourcement très prisé et à protéger. Une des concrétions de tuf «a été déplacée de quelques dizaines de mètres. Mais aucun bloc n’a été endommagé», assure Lawrence Amstrong. Le sentier des gorges, pratiqué depuis 1856, a été dévié pendant les travaux. Arnon Énergie SA s’est engagée à procéder à des opérations de reboisement pour remplacer les hêtres, frênes et érables abattus pour les besoins du chantier. Au terme d’une longue procédure, entamée en 2008, le Tribunal fédéral a donné raison aux porteurs du projet, argumentant en substance que le développement des énergies renouvelables l’emporte sur les intérêts de protection de la nature. La centrale de l’Arnon s’inscrit en effet dans la stratégie énergétique 2050 de la Confédération.