Ailleurs : Une lettre d’Ito Onsen, Japon

Lecture ~5 minutes
Ailleurs : Une lettre d’Ito Onsen, Japon

Cher Omnibus,

Aujourd’hui, je voulais te parler de mon récent voyage à Ito, petite ville balnéaire au sud de Tokyo, qui se niche dans la préfecture de Shizuoka. Cette escapade hors de la capitale m’a rappelé la beauté intemporelle de certains aspects de la tradition japonaise.

Depuis mon arrivée au Japon, une amie japonaise et moi désirions visiter une ville proche de la capitale mais loin de son agitation. Mon amie, accaparée par son travail exigeant dans une entreprise japonaise, et moi, fatiguée par mes examens de fin d’année, avons rapidement convenu qu’une ville réputée pour ses onsen – sources thermales japonaises – serait une destination plus qu’adéquate. Après quelques recherches, nous avons jeté notre dévolu sur Ito, pour son atmosphère paisible, et y avons séjourné deux nuits dans un ryokan, une auberge japonaise traditionnelle.

L’art du bain thermal

Les onsen sont quelque peu différents des bains thermaux que l’on peut trouver en Suisse. En effet, il faut se plier à quelques règles pour en profiter. Tout d’abord, le bain des femmes et celui des hommes sont souvent séparés, puisqu’il est dans la tradition de se baigner totalement nu. Une fois déshabillés dans les vestiaires, nous devons nous laver avec zèle avant d’entrer dans le bassin, préservant autant que possible la propreté et la pureté de l’eau pour tous les utilisateurs. Il y a également d’autres règles, qui tendent à s’assouplir avec la croissance du tourisme, comme l’interdiction de porter des tatouages, ceux-ci étant associés aux yakuzas, les membres de la mafia japonaise.

Petite fontaine d’eau chaude. (Photos Emi Randin)

Les sources thermales occupent une place essentielle dans la culture japonaise et le mode de vie local. On s’y rend seul ou accompagné, non seulement pour leurs vertus curatives (soulagement des douleurs musculaires, amélioration de la peau, prévention des refroidissements…) mais aussi pour leur pouvoir relaxant sur l’esprit. Il existe pour ainsi dire deux façons de savourer ce moment : se plonger en silence dans l’eau chaude et laisser son esprit dériver dans un état méditatif, ou bien entamer une conversation avec ses voisins de bain. Si le naturel réservé des Japonais rend le second scénario moins fréquent, il n’est pas rare que des discussions naissent dans cet espace où, débarrassés de nos vêtements et des marqueurs sociaux qu’ils véhiculent, nous nous retrouvons tous sur un pied d’égalité. On parle même au Japon de hadaka no deai , littéralement “rencontre à nu”, pour désigner les échanges sincères et spontanés qui naissent dans les onsen.

Mon amie et moi avons longuement profité des onsen dont regorge Ito. Cela nous a permis, durant une brève parenthèse, de ne plus réfléchir à notre quotidien et de simplement nous concentrer sur notre relaxation. Cela m’a rappelé à quel point j’aimais me délecter de ces sources thermales, qui sont pour moi le symbole d’une culture de la purification et du bien-être.

L’esthétique de la pénombre

Au-delà des bains, ce qui m’a particulièrement marquée lors de cette escapade, c’est notre logement. Pourtant, notre chambre n’avait rien d’extraordinaire : un sol recouvert de tatamis tressés, une table basse modeste et des futons que nous devions nous-mêmes déplier chaque soir. Malgré la simplicité du lieu, une atmosphère de sérénité et de profondeur s’en dégageait.

Chambre traditionnelle japonaise, entre clarté et ombre. (Photos Emi Randin)

Cela m’a rappelé l’éminent essai de Jun’ichirō Tanizaki intitulé Eloge de l’ombre. Dans ce texte, l’écrivain défend «l’esthétique de la pénombre», caractéristique du Pays du Soleil Levant, en réaction à l’esthétique occidentale où tout est lumineux et clair. Il écrit: «En fait, la beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre, se passe de tout accessoire. L’Occidental en voyant cela est frappé par ce dépouillement et croit n’avoir affaire qu’à des murs gris dépourvus de tout ornement, interprétation parfaitement légitime de son point de vue, mais qui prouve qu’il n’a point percé l’énigme de l’ombre.» Selon lui, l’essence de cette esthétique réside dans la capacité à trouver de la beauté dans le banal et de sublimer la réalité de la vie. Et il est vrai qu’après mon séjour à Ito, je me suis rappelé que le caractère brut, presque imparfait de l’architecture traditionnelle méritait plus d’appréciation. J’ai pu ressentir dans cet ancien ryokan cette harmonie entre l’ombre et la lumière, le dépouillement et la profondeur.

En visitant le musée de la ville, j’ai également découvert que Ito, comme beaucoup d’autres cités thermales, a abrité de nombreux écrivains. Passant leur journée à se détendre dans des thermes, puis à écrire dans la chambre de leur ryokan, beaucoup auraient été inspirés par un nouvel élan créatif, leur permettant d’achever des chefs d’œuvres de la littérature. Je ne pense pas que cela s’applique à mon cas, mais une chose est sûre : je suis rentrée de ce voyage complètement ressourcée, avec un nouveau regard sur l’élégance discrète de l’architecture nipponne et sur le plaisir inégalé d’un bain thermal japonais.

Emi Randin, jeune rédactrice de L’Omnibus, est partie étudier à Tokyo, Séoul et Hong Kong pendant l’année académique 2024-2025. Durant son séjour, elle continuera à nous offrir de petits aperçus de la culture est-asiatique.

Continuer ma lecture

Lieux et acteurs de culture

Bibliorbe
Théâtre de la Tournelle
Semi-marathon des Côtes de l’Orbe
Urba Kids
L’ADNV
L’Office du Tourisme Yverdon et région
Toute la culture régionale