Cher Omnibus,
Aujourd’hui, j’aimerais te parler de mes premières semaines à Séoul et des expériences que j’ai vécues en tant qu’étrangère qui ne maîtrise ni la langue, ni les codes de la culture locale. Je me suis retrouvée dans des situations plutôt amusantes, d’autres plus inquiétantes, mais j’ai pu apprendre certaines choses sur la culture coréenne, ainsi que les dangers, mais aussi la magie d’habiter dans un pays dont on connaît si peu de choses.
Lors de ma première semaine à Séoul, j’ai dû m’adapter à de nombreux aspects de ma vie, que ce soit le fonctionnement de la ville, les personnes avec qui je partage ma maison (nous sommes vingt-sept en collocation!), l’énorme université qui propose un bus gratuit pour les étudiants tant le campus est vaste, les cours, le système administratif et bien d’autres choses encore.

Prosélytisme
Après une semaine intense en découvertes, j’avais besoin d’un moment de solitude et ai décidé de me balader seule au bord de la rivière Han. A ma grande surprise, je me suis fait arrêter trois fois par des Coréens. Les deux premières fois, les personnes ne parlaient pas anglais et j’ai vite repris mon chemin. Mais la troisième fois, un jeune couple à l’air amical m’aborde. Ces jeunes gens me posent des questions sur mon séjour en Corée, mes études, mon pays d’origine – une discussion en apparence tout à fait banale. Cependant, mon instinct s’est vite mis en alerte; je remarque qu’ils insistent beaucoup sur le fait que j’ai l’air triste, ils me demandent pourquoi je suis seule, commentent mon accoutrement aux couleurs sombres, le fait que je porte des écouteurs comme si je ne voulais parler à personne… Après quelques instants, ils avouent faire partie d’une association célébrant la culture traditionnelle coréenne, où les gens se rassemblent pour prier pour enfin être heureux; ils pensent que notre rencontre relève du destin et adoreraient que je les suive pour signer un papier officialisant mon adhésion à leur groupe! J’ai poliment décliné l’offre et ils n’ont pas insisté…
Dérives sectaires
J’ai depuis fait quelques recherches sur ce genre d’«associations», qui sont en réalité, la plupart du temps en tout cas, des groupements religieux aux allures plus ou moins sectaires.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le christianisme est très répandu en Corée du Sud. Certains chiffres sont d’ailleurs impressionnants: la communauté protestante représente ainsi 20% de la population. En 2004, la Corée du Sud est devenue la deuxième source de missionnaires chrétiens dans le monde après les Etats-Unis. De plus, l’église protestante détient 6 chaînes de télévision, 109 universités, 631 écoles, 196 établissements médicaux et 259 associations dans le pays !
Un grand nombre de ces groupes religieux n’ont rien d’anormal et s’apparentent à ceux que l’on pourrait trouver en Europe. Mais plusieurs ont été impliqués dans des scandales assez préoccupants au Pays du matin frais. Le plus connu est sûrement celui de l’Église de la voie de la grâce. En 2019, sa dirigeante a été condamnée à six ans de prison pour violence, maltraitance et fraude. Elle avait notamment fait croire à ses fidèles qu’une famine apocalyptique allait s’abattre sur la Corée, et avait ainsi convaincu des centaines de fidèles de s’exiler aux île Fidji. Sur place, ils avaient été privés de leur passeport et contraints de travailler dans un camp surveillé. Il s’agit bien évidemment d’un exemple extrême, mais il est toujours bon de se renseigner et ne pas suivre n’importe quel missionnaire coréen…
Fantasme du «cheval blanc»
Il m’est arrivé une autre expérience intéressante lorsque je suis allée dans un salon de coiffure de Séoul. Le coiffeur, avec son anglais rudimentaire, s’est mis à me poser des questions de plus en plus personnelles, au fil de mon rendez-vous: il voulait savoir si j’avais des amis coréens, si j’en voulais, si j’avais un copain, etc. Lorsqu’il a appris que j’étais célibataire, il n’a cessé de me complimenter et il a demandé à échanger nos contacts avant que je parte.
On pourrait alors se dire que c’est peut-être le début d’une histoire romantique, qu’il s’agit d’un coup de foudre, que les barrières culturelles et linguistiques sont futiles face à un amour véritable… Mais il y a quelque chose à garder en tête : les femmes blanches ont tendance à être sexualisées en Asie de l’Est. En partageant mon expérience, j’ai d’ailleurs appris que trois de mes amies européennes avait reçu le même genre d’avance de la part de coiffeurs au Japon.

En Corée du Sud, certains parlent même de vouloir «monter un cheval blanc», autrement dit avoir une expérience sexuelle avec une femme blanche, avant d’entamer une relation sérieuse avec une Coréenne !
Selon des stéréotypes racistes et misogynes, les femmes blanches seraient plus «ouvertes» sexuellement et enclines à satisfaire les envies sexuelles des hommes. Ce phénomène n’est bien sûr pas limité à l’Asie; partout, les femmes étrangères sont l’objet de fantasmes en raison de leur «exotisme»; l’image de la femme asiatique soumise et docile est par exemple toujours largement véhiculée en Occident. Mais encore une fois, aucune ethnie n’est épargnée par ce genre de clichés.
Petites victoires
Ces expériences ne sont pas forcément positives, mais je ne veux surtout pas décourager ceux qui rêvent de voyager ou de s’installer dans un pays qu’ils ne connaissent pas encore. Être perdue dans un nouvel environnement ne se limite pas à ce genre d’interactions. C’est aussi le petit pic d’adrénaline avant de passer à la caisse, suivi du soulagement et de la fierté d’avoir réussi à utiliser quelques mots dans la langue locale. C’est communiquer avec des inconnus à travers des regards complices, des sourires. C’est une amie qui me prend la main pour que je ne me sente pas exclue lors d’une conversation en coréen. C’est avoir des dialogues mélangeant un anglais approximatif d’un côté et un coréen approximatif de l’autre. Et c’est aussi se demander chaque jour ce que l’on a mangé, parce que la nourriture est le seul sujet que l’on maîtrise dans la langue de l’autre (sans surprise, car la nourriture coréenne est succulente!). Vivre dans un pays dont on a encore beaucoup à découvrir, c’est trouver de la joie dans ces petits moment pleins d’humanité, et avoir toujours hâte d’en apprendre plus.
Emi Randin, jeune rédactrice de L’Omnibus, est partie étudier à Tokyo, Séoul et Hong Kong pendant l’année académique 2024-2025. Durant son séjour, elle continuera à nous offrir de petits aperçus de la culture est-asiatique.